jeudi 23 janvier 2014

Chronique d’une lutte à l’ESPE d’Aquitaine (partie 1)

Un lien : http://videos.senat.fr/video/videos/2014/video21088.html

Depuis et même avant la promulgation de la loi sur la refondation de l’Ecole de la République, le travail sur le dossier d’accréditation de l’ESPE d’Aquitaine a été confronté à plusieurs problèmes.

I) Le premier, récurrent, concerne les divergences de vue à propos du modèle de formation des enseignants. 

1°) Du point de vue majoritaire dans les formations pour les enseignants du second degré, la formation professionnelle ne peut se concevoir que successivement à la formation académique, cette dernière étant définie au regard des exigences des CPGE et du concours de l’agrégation. Cette approche permet notamment dans les études littéraires de mutualiser les formations au niveau master avec les masters recherches globalement désertés par les étudiants mais seules structures contribuant à la reconnaissance et à la promotion des enseignants chercheurs.
2°) Du point de vue des enseignants de l’ex-IUFM et de ce qui est acté dans la loi, la formation des enseignants doit être intégrée et non plus successive, ce qui suppose de traiter conjointement et en interrelation, la question des contenus académiques et la problématique de leur transposition, transmission aux élèves des 1er et 2nd cycles du 2nd degré.
Dans ce cadre, la solution envisagée par les présidents d’université consiste à faire en sorte que chacun puisse poursuivre ce qu’il fait depuis toujours, une formation successive où les connaissances académiques sont transmises en M1, le M2 servant alors de stage (sans accompagnement professionnalisant envisagé, hormis le compagnonnage du tuteur) accompagné au niveau universitaire de quelques compléments académiques.

Pour cela il ne fallait pas d’une ESPE qui unifie la formation des enseignants des 1er et 2nd degré et donc pas d’une ESPE de plein exercice.

II) La fusion des universités
 
Là-dessus vient se rajouter une problématique, celle de la fusion entre 3 universités bordelaises, construisant ainsi un monstre de 45 000 étudiants, face auquel Bordeaux III et l’UPPA craignent d’être reléguées à des facs de seconde zone ou d’être absorbées puis broyées.
Or Bordeaux III et l’UPPA préparent à de nombreux CAPES. La question du positionnement de l’ESPE devient un enjeu déterminant dans le rapport de force entre les universités d’Aquitaine. Cette question va polluer les travaux sur le dossier d’accréditation pendant plusieurs mois, ce qui aura comme effet d’envoyer au ministère une première mouture du dossier d’accréditation particulièrement creuse, entraînant une descente des responsables ministériels (Jollion, Fillatre, Leroy) au niveau de l’académie Bordeaux sermonnant les présidents d’université et le rectorat sur le faible travail produit sur les axes de formation notamment (Cet épisode vaudra la disgrâce de Philippe Girard ex directeur de l’IUFM auprès du recteur Nembrini et des Pdts d’Université). Cet épisode agira aussi comme un catalyseur du dossier d’accréditation, ce dernier ne pouvant plus se démarquer des injonctions données par la loi. Le dossier d’accréditation sera finalement voté avec les pieds par les conseils d’administration des Cinq universités d’Aquitaine (avec une très large majorité d’abstention à Bordeaux I, sous conditions à Bordeaux Montaigne et à l’UPPA). Il est à remarquer que ce dossier pourtant avalisé par les deux ministères ne comporte pas de modèle économique. Lorsqu’on connaît l’austérité régnante à l’Université on peut facilement anticiper les problèmes qui ne manqueront pas de se poser quand la question des moyens à allouer à la formation des enseignants sera posée à l’ensemble des partenaires.

On a donc dès ce moment une coalition de circonstance qui s’établit uniquement sur le sort à donner à P.Girard. Le président de Bordeaux IV propose en vain la direction de l’ESPE à plusieurs personnes, la seule solution pour eux est de proposer la direction provisoire à la même équipe, seul le changement de nom leur permet de sauver la face. (Martine Jaubert devenant administratrice provisoire jusqu’ à l’élection du directeur). Cette proposition très tardive (le 26 août) a fait peser des risques très important pour la rentrée des étudiants et des professeurs stagiaires.

Dans le même temps, l’université de Bordeaux (fusion) se construit. Dans ses statuts, le positionnement de l’ESPE initialement prévue au niveau d’un collège (rassemblement d’unités de formation correspondant grosso-modo aux 3 universités actuelles) se retrouve au niveau d’une unité de formation avec comme cible (sans le dire) l’intégration au collège « Sciences de l’Homme », ceci en contradiction totale avec l’esprit et le texte de la loi. De plus la référence à la cible institutionnelle de l’ESPE inscrite dans le dossier d’accréditation à savoir la Communauté d’Universités et d’Etablissements universitaires d’Aquitaine (CUEA) est abandonnée. L’ESPE d’Aquitaine se retrouve ainsi sans autonomie aucune, dans l’incapacité d’assumer les missions que la loi lui confère.
Pour autant l’unité des Pdts d’Universités est préservée, par la décision prise de ne pas inscrire les étudiants se formant aux métiers d’enseignants à l’ESPE mais dans leurs universités d’origines, ce qui permet de garantir les frais d’inscriptions mais surtout de couper l’ESPE des formations des enseignants du second degré.
Dans le même temps la préparation de la rentrée prochaine fait apparaître la suppression de 15 postes d’enseignants et de Biatss, la diminution du budget de fonctionnement de 13% et la suppression du budget d’investissement, alors que le nombre d’étudiants a doublé cette année.

III) L’élection du directeur

C’est dans ce contexte et en s’appuyant sur une composition du conseil d’Ecole où la représentation des personnels est fortement minorée, qu’arrive l’épisode de l’élection du directeur. Les représentants du recteur (menés par l’ancien recteur Nembrini) et les présidents d’université restent unis contre Philippe Girard à cause du camouflet qu’ils ont reçu dans la construction du dossier d’accréditation. Le front des présidents d’Université se lézarde un peu, mais se rétablit lors de la tenue du conseil d’école, les garanties offertes par la nouvelle université de Bordeaux à Bordeaux III et l’UPPA semblant suffisantes à ces dernières.

L’éviction de Girard est entérinée et va constituer comme un électrochoc au sein de notre communauté, car dans le même élan c’est le projet de formation qui est remis en cause car l’élection du futur directeur se fait au nom de la nouveauté nécessaire et qu’« il faudrait, du passé, faire table rase » Cet acte du conseil d’école entraîne immédiatement la démission de l’équipe dirigeante, administratrice provisoire, adjoints, responsables des sites et directeur des études.

IV) Mobilisation et action
 
Cette dernière a débuté avant même l’élection du directeur. Les errements de l’Inspection d’Académie de la Gironde en matière de RH, l’a conduit à modifier en cours d’année l’organisation des stages des M2 sous contrat admission (admissibles au concours exceptionnel 2013), et des professeurs stagiaires (reçus au concours 2013), entraînant une mise sur le terrain au profit d’une logique de remplacement et au détriment de l’accompagnement-formation. Une première manifestation des étudiants M2 CAD (90% de participation) se tiendra devant le rectorat le 14 novembre.
Dans la semaine qui a suivi le conseil d’école du 5 décembre, se tient une première AG qui appelle à interpeller les deux ministères (MEN et MSR) et leur demande de sursoir au choix du directeur. Deux manifestations sont envisagées, la première en direction de l’Assemblée provisoire constitutive de l’Université de Bordeaux (ODJ sur le budget), la seconde lors de la tenue du conseil d’école du 17 décembre qui avait également le budget à son ordre du jour. La troisième, le 20 décembre, bloque le CA de l’université Montesquieu Bordeaux IV dont l’ODJ portait entre autre sur le budget et sur les statuts de l’ESPE. Mobilisation importante des étudiants et des formateurs qui bloquent l’ACP et retarde le CE de l’ESPE. Pendant ce temps là des contacts sont pris avec les élus de la région (députés, sénateurs, élus locaux…) pour informer de la situation. La mobilisation touche l’ensemble des sites de l’académie (Agen, Périgueux, Mont de Marsan, Pau et bien sur Mérignac et Caudéran, les AG se passent en visioconférence). L’écoute des élus est attentive et donne lieu à une audition par la commission sénatoriale de suivi des ESPE (voir lien vidéo). La pression se poursuit par une grève et une manifestation le 17 janvier (manifestation devant le conseil d’administration de l’Université de Bordeaux avec le vote du budget et l’élection du futur président). A la suite de cette action, le président de la CUB organise une rencontre qui doit se tenir aujourd’hui entre une délégation représentative des personnels mobilisés et un proche du ministre. Pour autant il est décidé d’une distribution de tract et d’un cours en plein air devant l’Aerocampus à Latresnes à l’occasion de la venue du ministre.
On en est là. L’arrêté de nomination du nouveau directeur est paru, il était convoqué avec l’administratrice provisoire ce matin à huit heure par le nouveau président de l’Université de Bordeaux, Manuel Tunon de Lara.

Pascal Grassetie.

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